Le Bar des Souvenirs

Claire entre dans le petit bar de la rue Battant à Besançon. L'odeur familière du bois et du café la transporte quinze ans en arrière. Rien n'a changé : les mêmes tables rondes, les vieilles affiches de spectacles locaux, et ce comptoir en zinc usé.

"Claire ? C'est vraiment toi ?"

Elle se retourne. Thomas est là, derrière le bar, un torchon sur l'épaule. Ses cheveux sont maintenant gris, mais son sourire reste le même.

"Thomas ! Tu travailles ici maintenant ?"

"Je suis le propriétaire depuis cinq ans." Il verse deux verres de vin jaune, la spécialité régionale. "Assieds-toi, raconte-moi tout."

Claire s'installe sur le tabouret qu'elle préfère depuis toujours, près de la fenêtre. Dehors, les feuilles d'octobre dansent dans la rue pavée.

"Je vis à Paris maintenant," commence-t-elle. "Je suis revenue pour l'enterrement de Madame Rousseau. Tu te souviens d'elle ?"

"Notre prof de philo ? Bien sûr. Elle vient... elle venait ici chaque vendredi." Thomas baisse les yeux. "Elle commande toujours un grog en automne."

Un silence confortable s'installe. Le bar commence à se remplir. Des étudiants entrent, leurs écharpes colorées autour du cou. Ils commandent des bières et s'installent dans le coin où Claire et Thomas révise pour le bac autrefois.

"Tu te rappelles notre pacte ?" demande Thomas soudain. "On promettait de voyager ensemble après les études."

Claire sourit tristement. "La vie en décide autrement. J'ai mon cabinet d'architecture, toi ton bar..."

"Mais on est là maintenant." Thomas remplit à nouveau leurs verres. "Le bar ferme en janvier pour rénovations. Trois semaines de liberté."

"Tu es sérieux ?"

"Pourquoi pas ? On a quarante ans, pas quatre-vingts. Le Japon, tu disais toujours que tu voulais voir les temples de Kyoto."

Claire regarde autour d'elle. Deux clients jouent aux cartes près du poêle. Une étudiante lit Sartre dans le coin. La vie continue, simple et belle.

"Mon assistant peut gérer le cabinet," dit-elle lentement. "Janvier, c'est calme pour nous aussi."

Thomas sort un vieux carnet de derrière le bar. Claire reconnaît leur journal de voyage imaginaire, rempli de destinations rêvées et de plans impossibles.

"Première page," lit Thomas. "Tokyo, Kyoto, Osaka. Budget : à économiser. Durée : trois semaines minimum."

Claire lève son verre. "Aux promesses qu'on tient finalement."

"Et aux amis qui attendent le bon moment," ajoute Thomas.

Le vin jaune a exactement le même goût qu'il y a quinze ans. Certaines choses ne changent jamais, et c'est parfait comme ça.

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